Les menstruations

« Or, il est à remarquer que les vieilles femmes qui ont encore leurs règles, […] si elles regardent des enfants couchés dans un berceau, elles leur communiquent du venin par le regard, comme le dit Albert dans son Livre des menstrues : la cause de cela, dans les femmes auxquelles elles coulent, vient de ce que le flux et les humeurs, étant répandus par tout le corps, offensent les yeux, et les yeux étant ainsi offensés infectent l’air, et l’air infecte l’enfant […]. »

Le Grand et le Petit Albert, p. 180.

Au Moyen Âge, les menstruations sont quelque chose d’inconfortable pour les femmes, mais aussi pour les hommes qui ont peur du sang que perdent leurs compagnes une fois par mois. Comme dans de nombreuses civilisations, la société médiévale occidentale voit d’un mauvais œil les femmes pendant la durée de leurs règles et beaucoup de théories pseudo-scientifiques, de mythes et de légendes concernent cette période du cycle féminin.

Cette méconnaissance des menstruations et les croyances qui les concernent apparaissent alors comme l’un des témoignages du caractère misogyne de la société médiévale occidentale.

Les propriétés maléfiques du sang des menstrues

Dans le monde chrétien médiéval, on pensait que les menstrues étaient une punition des femmes pour le péché originel commis par Ève. Ainsi, une femme ayant ses règles ne pouvait recevoir la communion à l’église car elle était considérée comme impure durant cette période, comme toute personne entrant en contact avec elle, y compris son mari.

On pensait souvent que le sang que perdent les femmes pendant leurs règles était contaminé et qu’il possédait des propriétés maléfiques. Ces considérations permettaient notamment aux hommes de justifier leur domination sur les femmes qu’ils contraignaient à des rôles de servantes.

Pour Pline l’Ancien – qui n’aurait pourtant jamais connu l’intimité d’une femme – le sang des menstrues ferait tourner le vin, pourrir les fruits sur les arbres, émousserait l’acier, rendrait les chiens fous et leur ferait transmettre par leur morsure un incurable poison ! C’est en effet ce qu’il écrit dans son Naturalis Historia au Ier siècle de notre ère, texte qui fut intégralement republié au milieu du XVe siècle.

On redoutait donc les femmes durant la période de leurs règles. L’une d’entre elles fut par exemple condamnée pour avoir causé la mort subite d’un nourrisson par le simple fait de l’avoir approché !

On croyait également que le sang était corrosif pour le sexe masculin, ce pourquoi il ne fallait avoir de rapports sexuels pendant cette période. Certains pensaient aussi que les règles étaient causées par le déplacement de l’utérus dans le corps de la femme : si celle-ci avait mal à la tête durant ses menstrues, c’était que son utérus avait migré dans son crâne, par exemple.

D’autres croyaient qu’une trop importante sécrétion de sang pouvait noyer le sperme masculin et causer des malformations aux futurs fœtus, mais on pensait également qu’une femme ne saignant pas assez devenait hystérique. Pour la soigner, on lui conseillait alors d’avoir davantage de relations sexuelles avec son mari ou on lui saignait les pieds et les jambes afin d’évacuer le poison de son corps.

Une femme ayant des règles douloureuses

Les remèdes

Les femmes étaient souvent encouragées à boire
des concoctions pour atténuer ou empêcher leurs saignements menstruels.

On pouvait ainsi leur proposer des préparations à base de rue, de genévrier sabine, d’hysope, de figues, de semences d’ail, de millepertuis, de myrrhe, de capselle bourse-à-pasteur, d’ægopode podagraire. Si cela ne fonctionnait pas, elles pouvaient insérer ces plantes sous forme de pessaires directement dans leur vagin, ce qui pouvait également concerner le safran ou les noisettes. Mais attention, certaines de ces médications étaient sujettes à des recommandations très précises, comme la rue qui ne devait être consommée que l’après-midi, car elle était considérée comme toxique si ingérée le matin !

On pouvait aussi préconiser aux femmes réglées des recettes à base de mûres, d’orties et de consoude.
Selon le Tractatus de Herbis, un traité de plantes médicinales du XVe siècle, la jacinthe soulagerait également les règles douloureuses.

Certaines femmes pratiquaient aussi des rituels dont elles croyaient fermement en l’efficacité. Il s’agissait par exemple de soumettre des poils du crâne d’animaux à des pousses d’arbres, ou de porter les cendres d’un crapaud dans sa poche pour arrêter son sang de s’écouler.

Les protections intimes

Il semble qu’à cause de la mauvaise nutrition, des jeûnes et des grossesses à répétition, les périodes pendant lesquelles les femmes avaient leurs règles étaient moins longues et moins régulières qu’aujourd’hui. De plus, la puberté était plus tardive et la ménopause arrivait plus tôt, restreignant ainsi davantage les périodes de menstruations féminines.

Toutefois, lorsqu’elles avaient leurs règles, deux choix s’offraient aux femmes pour retenir leurs fluides : insérer quelque chose dans leur vagin pour retenir le sang (les tampons) et récupérer le sang après son écoulement (les serviettes).

Les tampons

Les formes médiévales de tampons sont assez proches de ce que les femmes contemporaines utilisent.

On se servait ainsi du coton ou de toute autre matière absorbante enroulée autour d’un bâton ou d’une brindille que l’on insérait ensuite dans le vagin.

Voici l’une des recettes qui étaient alors préconisées par Trotula de Salerne, femme médecin du XIe siècle : utiliser un mélange que l’on appelle diatessaron – composé de gentiane, de myrrhe, d’aristoloche et de baies de laurier – ou bien de la farine de saponaire ou de myrrhe. Il fallait alors moudre le tout avec du fiel de taureau et de la sabine ou de la rue pourrie et recouvrir le coton avec cette mixture pour en faire un pessaire de la taille du petit doigt. Il était ensuite nécessaire de l’oindre avec un mélange d’huile, de miel, saupoudré de poudre de scammonée ou de racine de lupin. On pouvait ensuite l’insérer dans le vagin pour en retenir les fluides menstruels.

Les serviettes

En tant que serviettes hygiéniques, les femmes médiévales aimaient utiliser du coton pour absorber leurs fluides : elles le préféraient à la laine qui avait notamment tendance à démanger. Toutefois, le coton coûtait relativement cher et certaines femmes étaient obligées d’utiliser d’autres matériaux pour retenir le sang de leurs règles. En Angleterre, elles utilisaient alors de la mousse, et plus précisément la sphagnum cymbifolium aussi utilisée pour soigner les plaies des blessés sur les champs de bataille, si bien qu’elle était surnommée la mousse sanglante. Elle servait aussi de papier toilette !
Mais les serviettes hygiéniques médiévales posaient plusieurs problèmes aux femmes.

D’abord, il était difficile de les nettoyer car effacer les tâches de sang était plutôt compliqué. C’est pourquoi les femmes aimaient porter du rouge durant leurs règles : cela permettait de camoufler les tâches !
Ensuite, il était difficile de maintenir en place ces protections intimes. En effet, il existait peu de sortes de culottes et de ceintures au Moyen Âge et il ne fallait en aucun cas que la serviette tombe au sol ! Il semble alors probable que les femmes portaient des sous-vêtements adaptés durant leurs règles, mais nous n’avons retrouvé aucun texte les évoquant : n’oublions pas que ce sont les hommes qui écrivaient et qu’ils redoutaient ces problèmes féminins !

Sources

HARRIS Karen, CASKEY-SIGETY Lori, The

Medieval Vagina: A Hysterical and Historical Perspective of All Things Vaginal During the Middle Ages, Creston, Snark Publishing, 2015.

LE GRAND Albert, Le Grand et le Petit Albert, Les Secrets de la magie naturelle et cabalistique, Paris, Le Pré aux clercs, 2008

Iconographies

Détail issu de «Der unterjochte Ehemann », Israhel
VAN MECKENEM, fin du XVe siècle, Allemagne.


Détail issu du Tractatus de Herbis I ca.1140, The British Library.

Anonyme, XVe siècle.