La littérature érotique au Moyen-Age

Si le terme « érotique » est anachronique, la littérature médiévale parlant d’amour, de manière plus ou moins crue, est loin d’être marginale.

Puis il l’accole étroitement et l’embrasse, et lui baise la bouche tendre ; et le sexe commence à se tendre, qu’elle échauffe et enchante.
Et dans la paume de la main
il lui plante.

Le songe des vits de Jean Bodel, XIIe siècle

XIe, XIIe et XIIIe siècles : La recherche d’un amour idéalisé

Une forme nouvelle de littérature amoureuse nait au XIe siècle avec les chants des troubadours et le développement de l’amour courtois (ou fin’ amor). Ces histoires sont racontées à un public aristocratique, au sein des cours, et mettent en valeur les qualités chevaleresques, l’attente et la mesure. Cet amour idéalisé n’interdit cependant en rien la recherche de sensualité. «

Je les ai tant baisées, si vous voulez l’entendre cent quatre vingt-huit fois,
à m’en rompre courroies et harnais. Et je ne
peux dire le malaise, tant il est grand qui me prit (Guillaume de Poitiers, duc d’Aquitaine, XIIe siècle).

La littérature amoureuse médiévale est souvent bien à l’écart des concepts religieux officiels qui prônent le refus du plaisir. « C’est l’esprit qui vivifie, la chair ne sert à rien », (Evangile de Saint-Jean VI, 63). Mais, en ce début de bas- Moyen âge, la distinction entre matérialité et spiritualité, n’est jamais complètement franche. Les deux s’entrecroisent sans cesse dans les différents textes : « Ô toi, la plus belle et la plus suave, combien Dieu s’est plus avec toi lorsqu’il a placé en toi l’étreinte de sa chaleur » (A Marie, Louanges de Hildegarde de Bingen, XIIe siècle).

L’érotisme médiéval réside surtout dans le regard. C’est déjà le cas dans le fin’amor : l’amour passe par les yeux pour atteindre le cœur. « Son œil a pour nom Perceval qui transperce tout ce qu’il atteint, du feu de l’amour qui tient les cœurs et asservit les corps » (Le Tornoiement as dames de Paris Pierre Gencien, XIIIe siècle). Les gestes, les actions du corps, son dévoilement marquent la sensualité. Cela sera également le cas dans les histoires plus crues des fabliaux développés au XIIIe siècle : le voyeurisme et l’exhibitionnisme sont alors des motifs récurrents : « Et le vilain guettait à la porte et vit tout clairement : le cul de sa femme découvert et le prêtre dessus » (Le prêtre voyeur de Garin, XIIIe siècle).

XIIIe, XIVe et XVe siècles : la démonstration d’une sexualité fantasmée

En effet, à partir du XIIIe siècle, la sexualité s’affiche plus clairement dans la littérature. Ce basculement est explicite dans Le Roman de la Rose écrit par Guillaume de Lorris puis terminé quelques années plus tard par Jean Meun.
L’œuvre raconte un rêve dans lequel un jeune homme recherche l’amour. Si la première partie parle d’amour courtois, la seconde est beaucoup plus explicite. Le roman se termine par l’amant cueillant la rose (symbole de la femme) pour en jouir. Le texte connait le succès dès sa parution. Christine de Pisan en fera une critique acerbe un siècle plus tard pour misogynie : « Et ne me soit imputé a follie, arrogance ou presompcion d’oser, moy femme, repprendre et redarguer aucteur tant subtil et son euvre admenuisier de louenge, quant lui, seul homme, osa entreprendre a diffamer et blasmer sans excepcion tout un sexe » (Lettres de Christine de Pisan, Débat sur le Roman de la Rose, 1401-2)

Le siècle est marqué par l’émergence des bourgeois (artisans, commerçants des villes, clercs…). Une autre littérature, plus populaire, se développe alors. Comme les textes des troubadours, ces fabliaux sont destinés à être récités avant d’être lus. Mais alors que les premiers l’étaient au sein des cours, les seconds se sont probablement développés autour des lieux de rencontres urbains comme les foires et les marchés. Les personnages représentés font d’ailleurs partie de cette société des villes : couples de bourgeois, domestiques, nobles déchus, clercs et membres du bas clergé. Ces derniers, fortement représenté, alors que leur vœux leurs interdits toute sexualité, contribuent évidemment aux rires (mais aussi aux fantasmes) autours des situations décrites.

Ces fabliaux jouent en effet sur l’ambivalence entre histoire morale et les motifs comiques que sont la ruse, le travestissement et les quiproquos qui permettent la réussite du personnage après une série de rebondissements.
C’est le cas de Trubert qui se travestit en femme : « Va, et achète-moi vite une bourse ample et profonde ; tu la mettras au bord du lit où je devrai me coucher […] Alors Trubert se dirige vers le bord du lit, prend la bourse là où la suivante l’avait mise et la place entre ses jambes […] Il s’accroche sous le roi et gémit, tout comme une femme qu’on viole » (Trubert Fabliaux érotiques, XIIIe siècle).

Ceux-ci offrent l’opportunité de mettre en scène une sexualité fantasmée et exagérée (parfois sous le prétexte du rêve) mais qui révèlent toutefois les préoccupations du temps.

Dans Le Decameron, datant au XIVe siècle, l’Italien Jean Boccace décrit parfaitement l’environnement socio-économique, les occupations professionnelles, la gastronomie urbaine et les habitudes conjugales de son époque, tout en proposant des scènes burlesques. Dans cette œuvre, sept femmes et trois hommes fuient Florence où la peste s’est rependue. Ils se retrouvent à la campagne pendant dix jours durant lesquels ils se racontent chacun à leur tour une histoire.

L’amour, qu’il soit courtois ou à la limite de la pornographie, en est le motif central. Œuvre décriée, le Decameron va inspirer de nombreux textes, en particulier dans sa structure.

C’est le cas des Cent nouvelles nouvelles (dit aussi Les Cent nouvelles du roi Louis XI), œuvre commandée par Philippe le Bon, Duc de Bourgogne, au XVe siècle. L’auteur, probablement unique, reste incertain mais sa structure est inspirée du Decameron : des fabliaux, autour d’histoires généralement légères (adultères et ruses de membres du clergé) racontés par des narrateurs différents.

Cette littérature témoigne de la conception de la sexualité du peuple, loin des prescriptions de l’Eglise ou des raffinements de l’amour courtois : maris trompés, femmes insatiables, scènes de bains (temps à la fois intime et social), scènes de sodomie, recherche du plaisir immédiat…
Cependant, l’acte sexuel en lui-même n’est pas jamais longuement détaillé : « Il a poussé son membre dans le con, puis a tant cogné et heurté qu’il fit ce qu’il avait à faire ». (Le prêtre voyeur de Garin, XIIIe siècle).

Les auteurs lui préfèrent les grandes descriptions de phallus et de vagins : «Mon organe est ferme, alerte, adroit, souple, délicat, discret, docile, maniable, solide, et tout ce qu’il te plaira. » (Carmina Burana, XIIIe siècle). Afin de jouer encore sur l’ambigüité, ils sont parfois comparés à des végétaux, des fontaines ou des animaux : « Il lui mit son écureuil dans le con. Le jeune homme ne fut pas vilain : il commence à bouger ses reins. » (L’Ecureuil Fabliaux érotiques, XIIIe siècle). La métaphore permet de développer des motifs à la fois comiques et érotiques : « Il sent les poils qui avaient commencé à croître : ils étaient encore doux et tendres. C’est mon pré, David, là où vous touchez, mais il n’est pas encore en
fleurs. […] David, fais-le paître dans mon pré ton beau poulain, que Dieu te protège. Et celui- ci se retourne de l’autre côté et lui met le vit sur le pénil » (La Damoisele qui ne pooit oïr parler de foutre Fabliaux érotiques XIIIe siècle).

Les œuvres littéraires ne sont évidemment pas un instantané permettant de voir la réalité de la sexualité au bas Moyen âge. Il ne s’agit que d’une multitude de représentations de la vie amoureuse, ancrée dans une période bien définie : celle de l’auteur, et dans un contexte stylistique particulier.

Cependant, ces textes nous offrent l’opportunité de comprendre l’imaginaire érotique de l’époque entre les interdictions des théologiens, la sublimation du fin’ amor et la dépravation des fabliaux.

Sources

DE LA CROIX, Arnaud, L’érotisme au Moyen Age, Ed. Talladier, Col. Texto, 2013.

APPARENCE(S), Des apparences fantasmées dans les fabliaux érotiques (article de Sophie Poitral, 2008), http://apparences.revues.org, (site de l’IRHiS- Septentrion université de Lille 3).

BIBLIOTHEQUE NATIONALE DE FRANCE, L’art d’aimer au Moyen-âge (exposition virtuelle, 2012), http://expositions.bnf.fr/aimer/index.htm,

Iconographie

Jeunesse et son ami, in Le Roman de la rose, Guillaume de Lorris et jean Meun, (BNF), 1567.

Lisiard découvre la tâche de naissance d’Euriaut, in Le Roman de la violette, (BNF), milieu du XVe siècle.

Nonnes cueillant des pénis, in Le Roman de la Rose (illustration en marge), (BNF), XIVe siècle.

La desserte, in Le Decameron, Boccace, (BNF), 1432.

Le companage, in Le Decameron, Boccace, (BNF), 1432.